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LIBRE PENSEUR
15 novembre 2005

MONTAIGNE4

Le Moyen Âge subordonnait tout à la théologie: Montaigne subordonne tout à la morale. Il reprend le point de vue de Socrate, qui, dans son bon sens pratique, se moquait des physiciens et des astronomes de son temps, et repoussait les études dont l'homme ne peut tirer aucun parti pour sa conduite. Il pense, comme les jansénistes, qui cependant l'ont si fort malmené, que les sciences doivent-être cultivées, non pour elles-mêmes, mais seulement afin de perfectionner la raison, la justesse d'esprit. En d'autres termes, pour Montaigne, les sciences et les lettres sont des moyens et non un but. Vérité incontestable, quand on considère les sciences et les lettres dans leurs rapports avec l'éducation, des jeunes gens. Au collège on apprend le latin, moins pour le savoir, que pour exercer en l'étudiant les facultés naissantes de l'esprit, facultés qui dans la vie s'appliqueront à de tout autre objets. Que dirions-nous d'un élève qui s'imaginerait qu'on lui apprend la gymnastique, pour qu'il sache faire le saut périlleux, et utiliser ce talent dans la société? Il est évident que ces exercices physiques ne sont que des moyens qui tendent à une autre fin: raidir les muscles et fortifier le corps. Il en est de même des lettres et des sciences dans l'éducation classique: n'oublions pas qu'elles y ont été introduites par la sagesse de toutes les nations, moins encore pour les connaissances positives que les élèves y recueillent que pour les qualités de souplesse, d'agilité, de finesse, exercées et développées par cette gymnastique intellectuelle.

Mais il est bien entendu que les sciences et les lettres ne peuvent être envisagées sous cet aspect que dans l'éducation première du jeune homme. En elles-mêmes, elles ont droit à l'indépendance la plus complète. Elles ont leur dignité, leur valeur propre, intrinsèque, parce qu'elles correspondent à deux des aspirations, les plus élevées de l'âme: la recherche du vrai et la passion du beau. Or Montaigne, par sa préoccupation exclusive de former le jugement et la raison, a été conduit à des vues un peu mesquines et un peu fausses sur les lettres et les sciences. Il semble s'en défier, bien différent en cela de la plupart des grands esprits de la Renaissance, et en particulier de Rabelais. Il ne cède pas à cette ivresse littéraire qui s'empara de l'esprit humain, après qu'il eut retrouvé ses titres de noblesse dans les chefs-d'œuvre de l'antiquité. Mais dans sa résistance à cet excès d'engouement il va un peu loin. On croirait déjà presque entendre les paradoxes de Rousseau sur l'influence corruptrice des lettres. Il ne cache pas son admiration pour l'éducation grossière et peu littéraire de Sparte: «Je trouve Rome, dit-il, plus vaillante avant qu'elle feust sçavante.»

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