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LIBRE PENSEUR
15 novembre 2005

MONTAIGNE3

Le plus souvent les systèmes d'éducation sont trop spéciaux, trop exclusifs. L'effort principal de Montaigne fut de réclamer une éducation générale et humaine. Personne n'a mieux compris que lui la nécessité de développer dans chaque individu les facultés qui font l'homme, avant de lui apprendre le métier qui fait le spécialiste. De tout temps il est nécessaire, il l'était surtout au seizième siècle, de rappeler l'attention vers cette éducation générale qui donne les moyens de réussir dans toutes les carrières, d'apporter partout une âme humaine, où l'on retrouve dans leurs grandes lignes tous les traits distinctifs de notre nature. Avant d'être des avocats, des médecins, des industriels, des professeurs, des mathématiciens; avant d'emprisonner notre vie dans une profession spéciale, il faut songer à devenir des hommes, c'est-à-dire des intelligences ouvertes, capables de tout comprendre, des cœurs sensibles sachant aimer tout ce qui est digne de l'être; des consciences droites et des caractères fermes, que les hasards de l'existence ne surprendront pas, dépourvus et désarmés; des hommes enfin «qui puissent faire toutes choses et n'ayment à faire que les bonnes».

Que doivent apprendre les enfants? «Ce qu'ils doivent faire étant hommes.» Ce mot, emprunté à Plutarque, résume toute la pédagogie de Montaigne. Sous forme d'anecdote, notre auteur détermine clairement ses intentions: «Allant un jour à Orleans, je trouvay dans cette plaine, au-deçà de Clery, deux regents qui venoyent a Bourdeaux, environ à cinquante pas l'un de l'aultre; plus loing, derrière eux, je veoyois une troupe, et un maistre en teste, qui estoit feu monsieur le comte de la Rochefoucault. Un de mes gents s'enquit au premier de ces regents, qui estoit ce gentilhomme qui venait aprez luy: luy, qui n'avoit pas veu ce train qui le suyvoit, et qui pensoit qu'on lui parlast de son compaignon, respondit plaisamment: «Il n'est pas gentilhomme, c'est un grammairien, et je suis logicien.» Or, nous qui cherchons ici, au rebours, de former, non un grammairien ou logicien, mais un gentilhomme, laissons-les abuser de leur loisir: nous avons affaire ailleurs.»Gentilhomme, dit Montaigne; le dix-septième dira l'honnête homme; Rousseau, plus simplement, l'homme. Mais, au fond, c'est la même chose que réclament ces grands esprits, c'est l'éducation générale de l'âme humaine.

Précisément parce qu'elle est générale, l'éducation, telle, que la conçoit Montaigne, est en même temps pratique. Il s'agit de faire des hommes habiles, vertueux, dont le jugement soit sûr, dont les actions soient prudentes et sages. Passer sa jeunesse à apprendre les mots, le beau langage, les figures de rhétorique, à écrire des discours élégants et des vers bien tournés, cela lui paraît du temps perdu. «Nous nous enquerons volontiers d'un escholier: Sçoit il du grec ou du latin? escrit-il en vers ou en prose? Ce n'est pas cela qu'il fault demander, mais s'il est devenu meilleur ou plus advisé.» — «On nous meuble la teste de science; dut jugement et de la vertu, peu de nouvelles.» Qu'importe que l'élève ait pâti pendant de longues années sur les textes anciens, et qu'il soit devenu un bon latineur de collège? «Si son ame n'en va un meilleur bransle, s'il n'a pas le jugement plus sain, i'aymerois autant qu'il eust passé le temps à jouer à la paulme; au moins son corps en seroit plus alaigre.»

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