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LIBRE PENSEUR

30 octobre 2007

LE MYTHE DE LA CAVERNE,

LE MYTHE DE LA CAVERNE,
Platon (V° siècle avant J.C) , La République, Livre 7...

Le mythe de la caverne est une allégorie qui illustre la situation des hommes par rapport à la vraie lumière, c’est-à-dire par rapport à la vérité.
Supposons des captifs enchaînés dans une demeure souterraine, le visage tourné vers la paroi opposée à l’entrée, et dans l’impossibilité de voir autre chose que cette paroi. Elle est éclairée par les reflets d’un feu qui brûle au dehors, sur une hauteur à mi pente de laquelle passe une route bordée d’un petit mur.
Derrière ce mur défilent des gens portant sur leurs épaules des objets hétéroclites, statuettes d’hommes, d’animaux, etc...
De ces objets, les captifs ne voient que l’ombre projetée par le feu sur le fond de la caverne. De même, ils n’entendent que les échos des paroles qu’échangent les porteurs. Habitués depuis leur naissance à contempler ces vaines images, à écouter ces sons confus dont ils ignorent l’origine, ils vivent dans un monde de fantômes qu’ils prennent pour des réalités.
Soudain, l’un d’entre eux est délivré de ses chaînes et entraîné vers la lumière. Au départ, il en est tout ébloui. La lumière du soleil lui fait mal, il ne distingue rien de ce qui l’entoure. D’instinct, il cherche à reposer ses yeux dans l’ombre qui ne le blessait pas. Peu à peu, cependant, ses yeux s’accoutument à la lumière, et il commence à voir le reflet des objets réfléchis dans les eaux. Plus tard, il se sent prêt à en affronter la vue directe. Enfin, il deviendra capable de soutenir l’éclat du soleil.
C’est alors qu’il réalise que sa vie antérieure n’était qu’un rêve sombre, et il se met à plaindre ses anciens compagnons de captivité. Mais s’il redescend près d’eux pour les instruire, pour leur montrer le leurre dans lequel ils vivent et leur décrire le monde de la lumière, qui l’écoutera sans rire, qui donnera surtout créance à sa révélation ? Les plus sages eux-mêmes le traiteront de fou et iront jusqu’à le menacer de mort s’il s’obstine.
On distingue sans peine la signification de cette allégorie. La caverne est le monde sensible dans lequel nous évoluons, le symbole de toutes les dictatures, visibles comme invisibles.
Nous sommes enchaînés dans cette caverne, esclaves de nous-mêmes et de notre éducation. La lumière est au dehors, mais il faut du courage pour la rejoindre, supporter la souffrance et la peur pour affronter la vérité. Nous devrons parcourir le sentier, qui est celui de la philosophie, pour espérer entrevoir la lumière.
Cependant le philosophe, s’il est de son devoir de partager son savoir, aura du mal à le faire accepter par ceux qui sont restés dans la caverne. C’est pourquoi il est souvent rejeté. Il pourra dire ce qu’il a vu (et donc compris), mais il ne pourra jamais totalement décrire le chemin par lequel il est passé. L’apprenti philosophe doit donc entendre et accepter, à travers ce mythe, que sa vision du monde est une illusion, car basée sur des a priori, et qu’il doit sortir de la caverne pour se mettre réellement en quête de la vérité. Pour cela, il doit faire preuve d’humilité, appliquer la politique de la table rase, en oubliant ce qu’il a vu dans la caverne.
Comment faire table rase ? C’est ce que nous étudierons à partir du Discours de la méthode de Descartes.

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28 octobre 2007

Schopenhauer sur la question de la mort

Schopenhauer     sur la question de la mort

""Quoi, dira-t-on, la persistance d'une pure poussière, d'une matière brute ; ce serait là la persistance de notre être ? Voyons, connaissez-vous donc cette poussière ? Savez-vous ce qu'elle est et ce qu'elle peut ? Apprenez à la connaître avant de la mépriser. Cette matière qui n'est maintenant que poussière et que cendre, bientôt dissoute dans l'eau, deviendra cristal, brillera comme métal, jaillira en étincelles électriques, manifestera sa puissance magnétique, se façonnera en plantes et en animaux, et de son sein mystérieux se développera cette vie, dont la perte tourmente tant notre esprit borné. Durer sous la forme de cette matière, n'est donc rien ? Spinoza a raison de dire que nous nous sentons éternels, sentimus experimurque nos aeternos esse; et la Nature, au sens transcendant, ressemble à ce château dont parle Diderot dans Jacques le Fataliste, au frontispice duquel on lisait : "Je n'appartiens à personne et j'appartiens à tout le monde ; vous y étiez avant que d'y entrer et vous y serez encore quand vous en sortirez." L'individu meurt, l'espèce est indestructible. L'individu est l'expression dans le temps de l'espèce qui est hors du temps. "La mort est pour l'espèce ce que le sommeil est pour l'individu". L'espèce représente un des aspects de la volonté comme chose en soi. A ce titre, elle représente ce qu'il y a d'indestructible dans l'individu vivant... Elle contient tout ce qui est, tout ce qui fut, tout ce qui sera. Quand nous jetons un regard vers l'avenir et que nous pensons aux générations futures avec leurs millions d'individus humains, différents de nous par leurs mœurs et leurs costumes, et que nous essayons de nous les rendre présents, cette question se pose : D'où viendront-ils tous ? Où sont-ils maintenant ? Où donc est ce riche sein du néant, gros du monde, qui cache les générations à venir ? - Et où pourraît-il être, sinon là où toute réalité a été et sera, dans le présent et dans ce qu'il contient ; en toi-même, questionneur insensé, qui, en méconnaissant ta propre essence, ressembles à la feuille sur l'arbre qui, se flétrissant en automne et pensant qu'elle va tomber, se lamente sur sa mort et ne veut pas se consoler à la vue de la fraîche verdure dont, au printemps, l'arbre sera revêtu. Elle dit en pleurant : - Je ne suis plus rien. - Feuille insensée. Où veux-tu aller ? D'où les autres feuilles pourraient-elles venir? Où est ce néant dont tu crains le gouffre ? Reconnais donc ton propre être dans cette force intérieure, cachée, toujours agissante, de l'arbre qui à travers toutes les générations de feuilles ne connaît ni la naissance ni la mort. Et maintenant l'homme n'est-il pas comme la feuille ? Pour la plupart des hommes, la vie n'est qu'un combat perpétuel pour l'existence même, avec la certitude d'être vaincu. Et ce qui leur fait endurer cette lutte avec ses angoisses, ce n'est pas tant l'amour de la vie, que la peur de la mort, qui pourtant est là, quelque part cachée, prête à paraître à tout instant. - La vie elle-même est une mer pleine d'écueils et de gouffres ; l'homme, à force de prudence et de soin, les évite, et sait pourtant que, vint-il à bout, par son énergie et son art, de se glisser entre eux, il ne fait ainsi que s'avancer peu à peu vers le grand, le total, l'inévitable et l'irrémédiable naufrage ; qu'il a le cap sur le lieu de sa perte, sur la mort ; voilà le terme dernier de ce pénible voyage, plus redoutable à ses yeux que tant d'écueils jusque là évités."".

Le monde comme volonté de représentation

25 octobre 2007

Le Pari : Pascal

Le Pari : Pascal, Les pensées, fragment 397 (extrait)

Examinons donc ce point, et disons : Dieu est ou il n'est pas ; mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n'y peut rien déterminer. Il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux.

Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix, car vous n'en savez rien. - Non, mais je les blâmerai d'avoir fait non ce choix, mais un choix, car encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, il sont tous deux en faute ; le juste est de ne point parier.

- Oui, mais il faut parier. Cela n'est point volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons, puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre, le vrai et le bien, et deux choses à engager, votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude, et votre nature a deux choses à fuir, l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, puisqu'il faut nécessairement choisir, en choisissant l'un que l'autre. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout, et si vous perdez, vous ne perdez rien ; gagez donc qu'il est sans hésiter. Cela est admirable.

24 octobre 2007

ainsi va la vie

rien ne va plus dans notre societé.

la pauvreté bat son plein.

les pays riches parlent d'écologie.

le froid tue certains

alors que la sécheresse s'abat sur d'autres pays

du globe.

mais où allons -nous?

dites le moi.

18 octobre 2007

De Retour

Après une longue absence! oui trop longue je le sais, je reviens dans l'univers des blogs.

Toujours les mêmes présents: les vieux, dont le style n'a toujours pas changé.

C'est triste!

Evoluer est si important.

il y a les nouveaux les jeunes un peu niais;

et surtout les pseudos-intellectuels qui se la pètent un maximum....

et c'est la vie.

Les choses évoluent peu : bien triste constat

allez! dites ce que vous en pensez.

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17 novembre 2005

MONTAIGNE 6

Ajoutons que Montaigne attache un grand prix à l'éducation physique. Voulez-vous fortifier l'âme? s'écrie-t-il. Commencez par raidir et durcir les muscles. On ne s'étonnera pas de rencontrer cette estime, pour la gymnastique dans un système d'éducation qui a pour caractère général, d'être un retour à la nature. Au seizième siècle, comme J.-J. Rousseau deux cents ans plus tard, Montaigne et Rabelais sont venus secouer le joug des modes artificielles, des tyrannies de l'usage, et proposer, avec plus ou moins de mesure, une réforme qui, dans son sens général, consiste simplement à, se rapprocher des lois naturelles trop oubliées. Aussi Montaigne est-il partisan de l'indulgence et de la douceur. Le Moyen Âge avait abusé de la sévérité: au dixième siëcle, Rathier, évêque de Vérone, écrivait sur l'éducation un livre qu'il adressait aux écoliers avec ce titre expressif «Seeva dorsum» Montaigne proteste avec énergie contre ces duretés et ces violences. Il veut introduire dans les collèges un peu de liberté, un peu d'aise et de gaieté. «Quelle maniere pour esveiller l'appetit envers leur leçon à ces tendres ames et craintifves, de les y guider d'une trongne effroyable, les mains armees de fouets!» — «Je ne veulx pas qu'uon emprisonne ce garson; je ne veulx pas corrompre son esprit à le tenir à la géhenne et au travail, quatorze ou quinze heures par jour, comme un portefaix.» Moins de travail, les verges supprimées, des leçons agréables qui appellent et qui convient l'élève à des efforts volontaires, enfin la prescription de toute contrainte et de toute violence, voilà l'idéal de discipline aimable et souriante que Montaigne a conçu, et qu'il rêve de voir appliqué, non sans quelque illusion peut-être, dans l'éducation de ces âmes délicates et tendres «qu'on dresse pour l'honneur et la liberté».

Il ne faut pas demander à Montaigne des vues positives sur l'organisation des divers degrés de l'instruction ni même un seul aperçu sur l'éducation du peuple. Mais il a du moins compris la nécessité de proportionner les études aux aptitudes de chacun, toutes les intelligences ne pouvant pas supporter la même dose d'instruction. Après avoir engagé le maître à commencer de bonne heure l'enseignement de la morale, si le disciple n'y prend goût, dit-il, «Je n'y treuve aultre remede, sinon qu'on le mette pastissier dans quelque bonne ville, feust-il fils d'un duc!»
Source imprimée
GABRIEL COMPAYRÉ, Histoire critiques des doctrines de l'éducation en France depuis le XVIe siècle, Paris, Hachette et cie, 1883, 4e édition, tome I
16 novembre 2005

MONTAIGNE 5

II

Nous connaissons le but de Montaigne: quels sont les moyens qu'il propose pour l'atteindre? Quelques-uns sont nouveaux; il rajeunit les autres.

Montaigne conseille l'étude des langues étrangères, recommandation remarquable pour l'époque. Que le jeune homme voyage, qu'il visite les pays voisins, d'abord pour en apprendre la langue, ensuite «pour frotter et limer sa cervelle contre celle d'aultruy»; en d'autres termes, pour se débarrasser de ses préjugés nationaux, et agrandir l'horizon de son intelligence. Surtout qu'il n'imite pas ces voyageurs qui, selon la mode d'alors, et on peut ajouter de tous les temps, vont en Italie, par exemple, pour y faire de l'archéologie frivole, pour savoir combien de pas a Santa Monda (le Panthéon), et si le nez de quelque statue de Néron est plus gros et plus long que le nez du même Néron dans une médaille antique.

Une autre nouveauté, c'est de rechercher l'instruction moins dans les livres que dans la compagnie des hommes et dans l'observation des choses. Le commerce des hommes est merveilleusement propre à former notre jugement. La malice d'un page, la sottise d'un valet, un propos de table, autant de matières d'instruction. Tout doit être pour l'enfant objet de réflexion et d'étude. «Il sondera la portee d'un chascun, un bouvier, un masson, un passant... Qu'on luy mette en fantasie une honneste curiosité de s'enquérir de toutes choses; tout ce qu'il y , aura de singulier autour de luy, il le verra; un bastiment, une fontaine, un homme, le lieu d'une battaille ancienne, le passage de Cesar ou de Charlemaigne... Ce sont choses tres plaisantes à apprendre et tres utiles à sçavoir.» Au lieu d'isoler l'esprit de l'en fant dans l'étude du passé, au lieu de le condamner à un tête-à-tête perpétuel avec les livres d'un autre âge, Montaigne le met en présence des choses réelles, des choses de son temps. Il compte beaucoup sur cette éducation insensible qui est le résultat de nos relations, des circonstances au milieu desquelles nous nous trouvons placés, sur cette éducation naturelle «et non livresque» qui est le produit des réflexions auxquelles un maître habile nous provoque dès notre jeune âge. Que sortira-t-il, en effet, d'une instruction ainsi conduite? Non pas un pédant insupportable, dont la mémoire est appesantie par une multitude de souvenirs indigestes, mais un esprit sûr et délié, apte à porter un jugement droit sur toutes les choses de la vie; enfin, comme le dit Montaigne, un homme qui ait la tête bien faite, plutôt que bien pleine.

Ce n'est pas que Montaigne ait exclu les livres de l'éducation. Il était trop passionné pour les anciens, particulièrement pour Plutarque et Sénèque, il était trop l'homme de la citation et de la lecture pour déconseiller l'étude de l'antiquité. Mais ii veut qu'on en use avec discrétion et toujours en vue de former le jugement. Surtout qu'on s'approprie ce qu'on lit. Que le travail de l'esprit ressemble à celui des abeilles, Les abeilles pillotent deci, delà, les sucs des fleurs; mais elles en font du miel, et ce n'est plus alors ni thym ni marjolaine. Charmante comparaison, où'il semble que Montaigne se soit peint lui-même, car il excellait dans l'art de transformer ce qu'il empruntait aux autres.

Il faut que l'enfant apprenne l'histoire, non pas tant pour connaître les faits que pour les apprécier. «Qu'on ne luy apprenne pas tant les histoires qu'à en juger.» Ce que Montaigne estime dans les études historiques, ce n'est pas l'érudition, c'est le profit moral qu'on peut en retirer. Il ne faut pas tant imprimer dans la mémoire de l'enfant «la date de la ruyne de Carthage, que les mœurs de Hannibal et de Scipion, ny tant où mourut Marcellus, que pourquoy il feut indigne de son debvoir qu'il mourust là.».

De même, en étudiant la philosophie, on fera appel à la, réflexion personnelle. Vérité bien simple, bien banale aujourd'hui, mais qui était loin de l'être â l'époque de Montaigne, alors que l'étude de la philosophie ne consistait guère qu'en exercices de mémoire. Montaigne, précisément, craint par-dessus tout que l'enfant ne reste une mémoire passive: il faut qu'il devienne un entendement actif: «On nous placque d'ordinaire les maximes des anciens en la mesmoire, toutes empennées comme des oracles, où les lettres et les syllabes sont de la substance de la chose.» Il faut, au contraire, le plus tôt possible, exercer l'enfant à agir conformément aux belles maximes qu'on lui enseigne: «le vouldrois bien que le Paluël ou Pompee, ces beaux danseurs de mon temps, nous apprissent des caprioles, à les veoir seulement faire, sans nous bouger de nos places; comme dans les escoles on veut instruire nostre entendement sans l'esbranler.» Il faut donc que l'enfant agisse, et qu'il mette en pratique les préceptes des livres. Pour cela, il faut lui laisser une certaine indépendance: «Que le jugement conserve ses franches allures; nous le rendons servile et couard, pour ne luy laisser la liberté de rien faire de soy.» Avons-nous besoin de dire que pour la philosophie, comme en général pour les lettres elles-mêmes, le sceptique Montaigne n'estime que le résultat pratique, et n'en recommande que les parties morales? La philosophie qu'il aime, c'est seulement l'art de bien vivre. Et voilà pourquoi il demande qu'on l'étudie dès, la plus tendre enfance. D'habitude, dit-il, on ne nous apprend à vivre que quand la vie est déjà passée, ou du moins fortement entamée.

Montaigne n'a pas suivi Rabelais dans son goût pour les sciences, qui contiennent d'après lui beaucoup «d'étendues et d'enfoncements fort inutiles.» Il désire cependant que l'homme se rende compte de la nature en général, afin de mieux comprendre le peu de place qu'il y occupe, afin de mieux conformer ses ambitions et ses visées à la médiocrité de sa destinée et à la modestie de son rang. Le fameux passage de Pascal: «Que l'homme contemple donc,» etc., est déjà en germe dans cette phrase de Montaigne: «Qui se presente comme dans un tableau cette grande image de nostre mere nature en son entiere majesté; qui lit en son visage une si generale et constante varieté; qui se remarque là dedans, et non soy, mais tout un royaume, comme un trajet d'une pointe tres delicate, celuy là seul estime les choses selon leur juste grandeur.»

16 novembre 2005

MONTAIGNE

Lui-même joint l'exemple au précepte. I1 n'a jamais rien étudié à fond. Le grec, il l'ignorait à peu près: «Je ne me suis pas rongé les ongles à l'estude d'Aristote.» Le latin, il ne le savait que grâce aux soins ingénieux de son père. Il n'avait de toutes les sciences qu'une légère teinture: «Je n'ai gousté des sciences que la crouste premiere, un peu de chasque chose, à la françoise.» Système excellent peut-être, s'il s'agit seulement de l'éducation classique, système détestable, si on veut le généraliser et l'appliquer encore après la sortie du collége. La paresse naturelle à l'esprit humain, nos ennemis disent la paresse française, s'en est trop souvent accommodée. Il ne peut former que des intelligences superficielles, des demi-lettrés, des demi-savants, capables de parler vraisemblablement de toutes choses, mais ne sachant rien à fond.

Montaigne n'a donc pas assez compris l'importance des hautes études, des lettres cultivées pour elles-mêmes, de la science désintéressée. En revanche, il nous a donné un tableau complet de ce que peut et doit être cette éducation moyenne, propre à la majorité des esprits, qui ne veulent ni ne peuvent être de grands savants ou de grands écrivains, mais qui ont besoin qu'on elerœ leur jugement et leur raison.

15 novembre 2005

MONTAIGNE4

Le Moyen Âge subordonnait tout à la théologie: Montaigne subordonne tout à la morale. Il reprend le point de vue de Socrate, qui, dans son bon sens pratique, se moquait des physiciens et des astronomes de son temps, et repoussait les études dont l'homme ne peut tirer aucun parti pour sa conduite. Il pense, comme les jansénistes, qui cependant l'ont si fort malmené, que les sciences doivent-être cultivées, non pour elles-mêmes, mais seulement afin de perfectionner la raison, la justesse d'esprit. En d'autres termes, pour Montaigne, les sciences et les lettres sont des moyens et non un but. Vérité incontestable, quand on considère les sciences et les lettres dans leurs rapports avec l'éducation, des jeunes gens. Au collège on apprend le latin, moins pour le savoir, que pour exercer en l'étudiant les facultés naissantes de l'esprit, facultés qui dans la vie s'appliqueront à de tout autre objets. Que dirions-nous d'un élève qui s'imaginerait qu'on lui apprend la gymnastique, pour qu'il sache faire le saut périlleux, et utiliser ce talent dans la société? Il est évident que ces exercices physiques ne sont que des moyens qui tendent à une autre fin: raidir les muscles et fortifier le corps. Il en est de même des lettres et des sciences dans l'éducation classique: n'oublions pas qu'elles y ont été introduites par la sagesse de toutes les nations, moins encore pour les connaissances positives que les élèves y recueillent que pour les qualités de souplesse, d'agilité, de finesse, exercées et développées par cette gymnastique intellectuelle.

Mais il est bien entendu que les sciences et les lettres ne peuvent être envisagées sous cet aspect que dans l'éducation première du jeune homme. En elles-mêmes, elles ont droit à l'indépendance la plus complète. Elles ont leur dignité, leur valeur propre, intrinsèque, parce qu'elles correspondent à deux des aspirations, les plus élevées de l'âme: la recherche du vrai et la passion du beau. Or Montaigne, par sa préoccupation exclusive de former le jugement et la raison, a été conduit à des vues un peu mesquines et un peu fausses sur les lettres et les sciences. Il semble s'en défier, bien différent en cela de la plupart des grands esprits de la Renaissance, et en particulier de Rabelais. Il ne cède pas à cette ivresse littéraire qui s'empara de l'esprit humain, après qu'il eut retrouvé ses titres de noblesse dans les chefs-d'œuvre de l'antiquité. Mais dans sa résistance à cet excès d'engouement il va un peu loin. On croirait déjà presque entendre les paradoxes de Rousseau sur l'influence corruptrice des lettres. Il ne cache pas son admiration pour l'éducation grossière et peu littéraire de Sparte: «Je trouve Rome, dit-il, plus vaillante avant qu'elle feust sçavante.»

15 novembre 2005

MONTAIGNE3

Le plus souvent les systèmes d'éducation sont trop spéciaux, trop exclusifs. L'effort principal de Montaigne fut de réclamer une éducation générale et humaine. Personne n'a mieux compris que lui la nécessité de développer dans chaque individu les facultés qui font l'homme, avant de lui apprendre le métier qui fait le spécialiste. De tout temps il est nécessaire, il l'était surtout au seizième siècle, de rappeler l'attention vers cette éducation générale qui donne les moyens de réussir dans toutes les carrières, d'apporter partout une âme humaine, où l'on retrouve dans leurs grandes lignes tous les traits distinctifs de notre nature. Avant d'être des avocats, des médecins, des industriels, des professeurs, des mathématiciens; avant d'emprisonner notre vie dans une profession spéciale, il faut songer à devenir des hommes, c'est-à-dire des intelligences ouvertes, capables de tout comprendre, des cœurs sensibles sachant aimer tout ce qui est digne de l'être; des consciences droites et des caractères fermes, que les hasards de l'existence ne surprendront pas, dépourvus et désarmés; des hommes enfin «qui puissent faire toutes choses et n'ayment à faire que les bonnes».

Que doivent apprendre les enfants? «Ce qu'ils doivent faire étant hommes.» Ce mot, emprunté à Plutarque, résume toute la pédagogie de Montaigne. Sous forme d'anecdote, notre auteur détermine clairement ses intentions: «Allant un jour à Orleans, je trouvay dans cette plaine, au-deçà de Clery, deux regents qui venoyent a Bourdeaux, environ à cinquante pas l'un de l'aultre; plus loing, derrière eux, je veoyois une troupe, et un maistre en teste, qui estoit feu monsieur le comte de la Rochefoucault. Un de mes gents s'enquit au premier de ces regents, qui estoit ce gentilhomme qui venait aprez luy: luy, qui n'avoit pas veu ce train qui le suyvoit, et qui pensoit qu'on lui parlast de son compaignon, respondit plaisamment: «Il n'est pas gentilhomme, c'est un grammairien, et je suis logicien.» Or, nous qui cherchons ici, au rebours, de former, non un grammairien ou logicien, mais un gentilhomme, laissons-les abuser de leur loisir: nous avons affaire ailleurs.»Gentilhomme, dit Montaigne; le dix-septième dira l'honnête homme; Rousseau, plus simplement, l'homme. Mais, au fond, c'est la même chose que réclament ces grands esprits, c'est l'éducation générale de l'âme humaine.

Précisément parce qu'elle est générale, l'éducation, telle, que la conçoit Montaigne, est en même temps pratique. Il s'agit de faire des hommes habiles, vertueux, dont le jugement soit sûr, dont les actions soient prudentes et sages. Passer sa jeunesse à apprendre les mots, le beau langage, les figures de rhétorique, à écrire des discours élégants et des vers bien tournés, cela lui paraît du temps perdu. «Nous nous enquerons volontiers d'un escholier: Sçoit il du grec ou du latin? escrit-il en vers ou en prose? Ce n'est pas cela qu'il fault demander, mais s'il est devenu meilleur ou plus advisé.» — «On nous meuble la teste de science; dut jugement et de la vertu, peu de nouvelles.» Qu'importe que l'élève ait pâti pendant de longues années sur les textes anciens, et qu'il soit devenu un bon latineur de collège? «Si son ame n'en va un meilleur bransle, s'il n'a pas le jugement plus sain, i'aymerois autant qu'il eust passé le temps à jouer à la paulme; au moins son corps en seroit plus alaigre.»

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